Rares étaient les fois où nous nous rendions à Liberty. Cette ville n'avait pas sa place dans notre estime. Elle n'était qu'une illusion du bonheur à nos yeux et nous y rendre nous agaçait. D'autant plus qu'elle grouillait de bipèdes et se retrouver au milieu d'autant de mortels nous mettait terriblement mal à l'aise. Mais nous avions besoin de certaines denrées introuvables dans les petits villages ou même dans la nature.
Nous avions revêtu notre apparence de mortel. Musclée, sauvage aux yeux d'acier, nous dissimulions sous notre épaisse cape nos attributs encore visibles de dragon. En effet, la métamorphose n'était pas totale. Malgré nos années d'existence, nous n'avions jamais pratiqué plus que ça ce sortilège d'illusion et restions mauvaise en ce qui concernait changer notre apparence. Nos cornes demeuraient visibles et magnifiques, reflétant la lumière si délicate de l'astre diurne. Mais rares étaient les chanceux qui pouvaient contempler leur beauté.

Notre regard d'acier se pose sur les différents bipèdes qui composaient cette foule compacte et dense. Un vrai calvaire que de circuler entre tous ces corps à l'existence si futile. Notre coeur battait la chamade, mal à l'aise d'être entourée d'autant de monde. Nous cherchâmes un endroit où nous poser un instant, loin de tout ce monde. Mais aucun endroit ne semblait convenir à nos attentes. Ce marché était bondé et nous ne nous rappelions pas d'y avoir croisé autant de monde la dernière fois que nous y sommes allée. Cela remontait à... quelques mois déjà nous semblait-il. Enfin bon, nous n'en n'avions pour pas longtemps et avec un peu de chance, la population de cette cité construite sur des illusions n'aimait guère l'épice sacrée que nous recherchions. Le piment, décliné en plusieurs espèces, donnait une tout autre saveurs aux viandes et plats que nous préparions. Malheureusement, nous en avions toujours besoin d'une quantité non négligeable, c'est pour cela que nous faisions attention à nos dosages à notre plus grand désespoir.

Nos pas nous menèrent devant une étale bien rouge, celle que nous recherchions. Nous nous approchâmes rapidement, ne désirant pas nous mêler à la foule plus longtemps. Comme nous nous doutions, cette étale était peu fréquentée. Les gens du Dangshuan ne devaient pas apprécier avoir du goût dans leurs plats. Cela expliquait peut-être leur comportement fade et calqué sur tout un chacun. D'une voix claire, sans omettre la politesse, nous demandâmes un bon kilo de piments divers et variés. Cette denrée était rare en ces contrées aussi nous furent surprise de voir ce que nous demandait le marchand. La colère, déjà présente, profita de cet instant de faiblesse de notre part pour éclater au grand jour. Nos pupilles d'acier s'illuminèrent d'une fureur glacée, dardant sur ce pauvre mortel notre courroux agacé. "Comment ça, cent pièces d'or ?! Votre pacotille n'est sûrement pas de la meilleure qualité !" dîmes-nous, très agacée. Le marchand répliqua, nous faisant encore plus perdre notre sang froid légendaire. Autour de nous s'était formé un espace vide et les gens nous regardaient, curieux. Une curiosité bien malsaine qu'ils feraient mieux de garder pour leur séant. Nous étions à deux doigt de reprendre notre vraie forme et de détruire ce marchand et son orgueil mal placé. Cependant, nous remarquâmes bien vite que le peuple s'écartait pour laisser passer des mortels armés. Ainsi donc, cette illusion de bonheur avait tout de même une police.

Nous relâchâmes le col du marchand tout en marmonnant dans notre barbe. Il n'était pas correcte pour une créature de notre rang de s'abaisser à la violence des bipèdes. Cette violence qui commençait sérieusement à nous parasiter. Plus nous restions ici, plus nous avions envie de faire un carnage. Un garde, mieux habillé que le reste de ses clampins, s'approcha de notre personne et nous demanda de décliner notre identité. Nous grognâmes pour toute réponse.

Les ennuis ne faisaient que commencer et étrangement, nous trouvions ça amusant. Un peu de distraction, chose si rare dans notre longue existence morne.

Les propos du garde se faisaient de plus en plus agressifs, ne nous aidant pas à nous calmer. Nous sentions les poils de notre échine se hérisser et nos crocs dégouliner de salive. Bien que sous forme bipède, nous gardions un certains aspect draconique. Nous serrions les poings, prêts à frapper le bipède impudent lorsqu'une voix se démarqua du reste de la foule devenue très silencieuse.
Notre regard courroucé se posa sur la nouvelle arrivée qui osait nous insulter. Notre colère grandissait de plus en plus en nous et il nous démangeait de faire un réel carnage dans les rues de ce marché. Tous ces curieux n'avaient pas à venir poser un oeil indiscret sur notre situation. Nous n'aimions pas les bipèdes pour deux choses : leur violence mais aussi leur curiosité malsaine. Sous notre capuche, personne ne pouvait remarquer qui nous étions vraiment à moins de s'approcher.

Le chef de la garde fit un pas en avant et il pu découvrir toute la rage qui déformait notre visage. Il put également remarquer les magnifiques cornes qui entouraient notre tête de bipède. Nous dardâmes notre regard de glace dans le sien et nous crûmes voir un tremblement. Il recula d'un pas sans pour autant perdre la face. Les propos de la femme semblaient l'avoir légèrement convaincu, aussi s'écarta-t-il définitivement de notre personne tout en dispersant les foules. Notre courroux glacé s'abattit sur le marchand qui déglutit tout en servant la femme qui était venue à notre secours. Cette dernière accompagna les geste à la parole puisqu'elle paya le marchand et récupéra notre bien précieux. Sans bouger, nous grognâmes en la regardant passer à côté de nous. Il était hors de question de suivre une effrontée qui avait oser insulter une créature de notre rang. D'un autre côté, elle avait une chose qui nous appartenait.

Sans un bruit, nous suivîmes la femelle jusque dans une ruelle peu peuplée. D'ici, nous nous approchâmes de la fragile bipède avec une certaine rapidité, sortant crocs et griffes pour lui faire payer son impunité. Un grognement sourd sorti de notre gorge alors que nous bousculâmes la mortelle. D'un geste vif, nous essayâmes d'attraper son délicat cou et de la plaquer contre le mur sale d'une maison modeste. La vitesse et le vent dévoilèrent notre visage, faisant lâchement tomber notre seul rempart contre l'anonymat. Des cheveux d'un blond cendré tombèrent en cascade sur nos épaules, accompagnant nos cornes. Notre regard luisait d'une colère glaciale tandis que nos crocs claquaient sous le coup de la fureur. "Tu vas payer pour tes insultes, mortelle" dîmes nous sans plus de cérémonie. "Personne n'insulte Haelselgr !" Nous avions complètement occulté son sourire complice qu'elle nous avait offert en signe d'indication pour nous expliquer que tout ceci n'était qu'un jeu. Notre fureur nous aveuglait et nous n'avions pas prit le soin de faire attention à ce genre de détail. "Qui plus est, tu possède quelque chose qui nous appartient, bipède" crachâmes nous, déversant toute notre haine et notre colère. Nos muscles se bandaient et malgré la faiblesse de ce corps, nous étions prête à faire une carnage.

Nous grognâmes face à l'insolence de la mortelle. De quel droit nous parlait-elle sur ce ton là ? Elle se dégageait de notre emprise sans trop de problèmes, renforçant ce sentiment de puissance perdue qui naviguait dans notre esprit depuis un long moment. Nos babines se retroussèrent tandis que nous reculions d'un pas tout en fixant de notre regard de glace la téméraire bipède.
Nous rîmes à gorge déployée, posant notre air hautain sur cette personne au teint pâle et à l'instinct de survie bien absent. En prison ? Nous ? Et bien, il faudrait déjà pour cela que nous remettions les pieds dans cette ville ennuyeuse et fausse. Qui plus est, nous savions lorsqu'il fallait lâcher la proie pour songer à une retraite. C'est ce que nous avions envisagé avant que cette... malotrue ne vienne nous porter secousse dans un élan de bonté écoeurant.

Ses mots nous firent rire plus encore. Notre âge devait bien tripler voire quadrupler le sien. Nous n'en savions rien, nous étions là depuis si longtemps que nous ne comptions plus les années, de bien futiles choses par ailleurs. Nous préférions rire face à ses mots plutôt que d'y répondre. Cette bipède était bien hilarante, si hilarante que nous n'avions pas rit ainsi depuis bien longtemps. Nous finîmes par poser de nouveau un regard d'acier sur son visage de porcelaine. Son regard hautain n'arrivait pas à nous atteindre, pas même que ses mots ridicules. Le rire qu'elle lâcha pour appuyer son si mauvais jeu nous fit hausser les épaules et un sourcil. Nous n'avions que faire d'elle. L'envie nous était même passée de vouloir la tuer. Elle n'en valait pas la peine. Nous nous rapprochâmes de son délicat visage avec un sourire narquois et rieur. Puis nous lui soufflâmes dessus doucement avant de lâcher le même petit rire hautain que le sien. Puis dans un geste dédaigneux et cupide, nous ramassâmes notre sac avant de sortir de scène, tout en grâce et en insolence. Nous avions rencontré là une personne qui avait un égo qui pouvait éventuellement rentrer en compétition avec le nôtre. Mais la pauvre fille manquait cruellement de prestance dans ses mots. Cela était bien dommage car sa personne dégageait une certaine grâce.