La Valkyrie et sa fidèle amie mi-oiseau mi-vampire avaient passé le début de cette journée en vain à retrouver des informations sur la soeur Valkyrie à Shoumei ou sur sa mère qui avait fui. Cela n'avait pas réellement surpris Signe car cette quête n'allait pas être facile mais cela n'avait pas aidé à remonter le moral de la Valkyrie qui tenait à peine debout suite à ses blessures, autant physiques que mentales.

Son oeil manquant - couvert par un foulard noir passé autour de sa tête, qui allait très bien avec sa longue chevelure tressée - faisait travailler l'autre oeil et lui donnait des maux de tête terribles. Elles avaient donc pris l'après-midi pour se reposer et penser à autre chose. C'était une lourde responsabilité pour la femme-oiseau de s'occuper de la santé de la Valkyrie, mais elle ne voulait pas l'abandonner. Les deux avaient la rage de vaincre et personne d'autre que l'autre.

Assise sur un banc, la Valkyrie observait un groupe d'enfants jouer. Si innocents. Elle l'était aussi, à cet âge là. Probablement. Elle avait de vagues sourires de son père lui apprenant à dépécer des animaux pour en séparer ce qui n'était pas mangeable, de ce qui était mangeable, et de ce qui pouvait servir à fabriquer des vêtements du reste. Son père lui disait "fais attention avec ce couteau tu vas te couper" et sa mère, Valkyrie de son essence derrière lui disait "mais laisse-la faire, si elle coupe elle fera plus attention sans qu'on ait à lui expliquer elle est pas attardée elle peut apprendre d'elle-même".

Des souvenirs de son enfance avant Nordia, elle en avait peu, mais la mort récente de son père lui avait retourné le cerveau et chaque chose qu'elle voyait lui rappelait à quel point elle l'avait aimé. Elle tenta de penser à autre chose... ah oui. Les enfants. Innocents jusqu'à ce qu'on les enlève et les mettent dans un camp militaire. S'il y avait une petite Valkyrie parmi ceux-là... ils avaient quel âge ? Dans quelques années elles feraient leur lit au carré en apprenant les grades militaire par coeur entre des séries de pompe pendant que leurs autres camarades ici continuent de profiter de leur innocence encore un instant.

Rubis revint vers elle, lui tendit une sorte de grand sandwich qu'elle venait d'acheter. Signe s'en saisit et lui demanda ce que c'est.

- Je sais pas trop, ça avait l'air bon. C'est du pain et dedans ils ont mis une viande, je pense c'est de l'agneau qu'il m'a dit. Ils en font des fines tranches, ils mettent de la salade et des oignons. Y a une sauce, je sais pas trop comment c'est fait. C'est très épicé, ils appellent ça la sauce Samouraï.

- Oh, c'est un sandwich du Reike ? Jamais entendu parler.

- Aucune idée. Tu me diras si c'est bon. C'est pas assez nutritif pour moi, de toute façon.

Signe commença à manger, et effectivement c'était bien bon. La Valkyrie mangeait peu ces derniers temps, elle n'avait pas pu prendre beaucoup d'argent en fuyant la tribu qui l'avait trahie, c'est d'ailleurs pour ça qu'elle était ravie de pouvoir quitter la ville et retourner un peu dans la forêt... dans son état cependant elle ne se faisait pas d'illusion, et Rubis était une piètre chasseuse. Elle devrait ainsi vivre comme des citadins sans le sou. Quelle vie de merde ! Qui accepte ça consciemment ? Deux bras, deux jambes, tu n'as aucune raison de finir ainsi. Mais c'était la vie.

Une petite fille étrange qui avait attiré l'attention de la Valkyrie se mit à raconter une histoire. Lorsque Rubis se rendit compte que Signe écoutait, elle détourna son attention vers cette petite fille, et fut relativement surprise par cet être : elle était sombre, mystique, comme un fantôme. Et personne semblait s'en effrayer. Elle dessinait des ombres avec ses mains avec une grande élégance.

Elle raconta l'histoire d'une femme ailée qui était méchante et qui fut trahie par le monde. La déception fut grande lorsque l'histoire se finit mal, ce qui inquiéta Rubis.

- Quel genre de petite fille raconte des histoires aussi tristes ? lâcha-t-elle.

- Tu n'aimes pas ?

- Mh... je me demande laquelle des deux est la femme ailée dont elle a parlé. plaisanta-t-elle.

Signe réfléchit, et en repensant à Brom, elle lui dit :

- Je pense que je suis le prince.

- Le prince ?

- C'est un con. Ca me correspond bien.

Elle lui caressa l'épaule, avant de dire à son amie Valkyrie :

- Tu n'es pas comme le prince, je pense. Tu fais des erreurs, mais tu n'es pas foncièrement mauvaise.

- Le prince n'est pas forcément mauvais. Il a eu un moment de faiblesse et était terrorisé. On peut excuser n'importe quoi à n'importe qui.

- Du coup, je serais le dragon.

Signe fut étonnée :

- Non, le dragon, lui est méchant.

- Je sais pas. Faudrait lui demander à cette petite triste ! Est-ce qu'elle est maudite pour être aussi triste et violette.

- C'est une ombre. Tu en as jamais vu ?

- Une quoi ? demanda Rubis, un léger sourire aux lèvres.

- C'est assez difficile à décrire. Ca ressemble à des humains, mais en plus ombreux. Ca ne vieillit pas, ça naît comme ça est.

- Ca mange des glaces ?

- Ca boit juste de l'eau.

- Et moi je bois juste du sang. Et je ne vieillis pas. Ca nous fait un peu des points commun. Tu penses qu'on pourrait l'adopter ?

La Valkyrie haussa longuement les sourcils.

- Elle est peut-être plus vieille que toi. Et je dois déjà garder un oeil sur une enfant ici, je peux pas faire plus.

- Je plaisantais, je plaisantais.

La petite oiseau se leva et marcha en direction de la petite fille une fois que la foule fut dispersée. Elle se cachait sous une grande capuche et une grande cape noire pour ne pas brûler au soleil, mais essaya d'être la moins effrayante possible. Elle vint près d'elle et s'accroupit à sa hauteur.

- Coucou ! Je m'appelle Rubis, et la grande dame qui fait peur là-bas c'est mon amie Signe. C'est joli ce que tu fais avec tes ombres, j'ai beaucoup aidé ton histoire. Mais tu m'as l'air un peu tristounette ! C'est un peu triste d'être aussi triste à ton âge, non ? Tes parents sont ici, ou tu es toute seule ?

Elle leva grand ses bras pour lui montrer ses ailes, ses grandes et élégantes plumes rouge sang, et lui fit un grand sourire mais sans montrer ses dents quand même pour ne pas l'effrayer.

- Tu veux que je t'offre quelque chose à boire ? Y a plein d'éléments de ton histoire que j'ai pas compris, il faut que tu me racontes. Je te raconterai des histoires aussi, si tu veux. Je peux même te faire des tours de magie, j'en connais plein. Je suis magicienne.

Repliant ses ailes, elle s'arracha une plume sous sa cape. Elle ne ferait ça pour personne, surtout vu ce que ça lui évoquait, mais elle voulait égayer la vie de cette petite fille.

- Je suis une femme oiseau, la seule qui existe probablement. C'est pour ça que j'ai des plumes. Peu de gens ont des plumes. Les anges, les Valkyries peut-être. Mais je pense que chaque personne à l'intérieur d'elle peut tout de même avoir quelques plumes rouges qui lui rappellent qu'elle est vivante, tu ne penses pas ?

Glissant sa main en cachant sa plume derrière derrière la tête de la petite Ombre, elle caressa ses cheveux avant de sortir sa plume et la lui montrer :

- J'en ai trouvé une dans tes cheveux. Prends-là, je te garantis pas qu'elle te tiendra chance, mais elle est jolie, non ?

Avant de lui poser une question :

- Tu t'appelles comment ?

La petite n'avait pas de parents, et semblait être apparue dans ce monde d'un coup. C'était quelque chose d'étrange pour l'oiseau vampire qui peinait bien à comprendre le concept d'Ombres. Cette petite chose était tout à fait mignonne cependant et réveillait en elle son instinct maternel.

Ce qu'elle dit ensuite à propos du marin mort lui mit un coup. Peut-être était-il bon d'ignorer ce qu'était la tristesse. Mais elle apprendrait tôt ou tard.

Rubis lui dit alors :

- Je pense que cette histoire n'a pas vraiment de fin. Enfin, elle se finit comme ça. Mais tu n'es pas obligée de garder les fins qu'on te donne, tu peux en inventer toi-même. On devrait faire ça, tu ne penses pas ?

Est-ce que l'eau appartenait aux gens ? C'était une bonne question. De façon générale elle aurait pu simplement lui donner à boire de l'eau d'une fontaine, mais la vampire avait plutôt imaginé quelque chose du genre, lui payer un verre. Pour la symbolique, quoi. C'était compliqué à expliquer. Rubis ne comprenait pas elle-même.

- Je peux t'apprendre plein de choses, même si j'en connais pas énormément. Et je ne suis pas une grande magicienne, mais je peux voler... c'est vrai que c'est très joli Ombrane.

Elle lui patpata la tête et lui dit :

- Ca te va très bien ! Viens, je te présente mon amie.

Elle la fit venir jusqu'à Signe qui somnolait sur un banc.

- Elle s'appelle Ombrane, et c'est surement une ombre !

Signe, les yeux toujours fermés, souffla un :

- Enchantée, Ombrane.

- Elle est toute seule, j'ai pensé passer un peu de temps avec elle, je peux ?

- Pourquoi pas. Y a une fête foraine à l'autre bout de la ville, peut-être tu pourrais aller l'emmener voir les cracheurs de feu.

Rubis se mit à la hauteur de Ombrane et lui dit :

- Ca te dit ? On pourrait y aller en volant ! Grimpe sur mon dos.

- Je vous y rejoins plus tard. Pas de bêtises.

Rubis prit son envol avec la petite sur son dos.

- Accroche-toi bien.

Elle vola par-dessus les bâtiments, et bien plus haut encore, faisant des vols planés et de temps en temps des piqués tout doux pour l'amuser un peu. Sa cape ne couvrait pas bien ses ailes, alors elle brûlait un peu, mais elle s'en fichait, elle voulait faire passer du bon temps à sa mélancolique amie.

Après avoir tourné par-dessus la ville, se sentait fatiguée, elle atterrit à la fête forraine, puis fit redescendre Ombrane. Elle haletait, elle lui sourit :

- Voilà ma magie !

Regardant les environs, elle remit sa cape comme il le fallait, passant ses mains rapidement sur ses brûlures pour en atténuer la douleur, et pointa une étrange maison du doigt :

- Ca te dit la maison des illusions ? C'est effrayant et magique. A moins que tu préfères autre chose ?